Les PTSD sont nos amis [Tommy, Kira] [Abandonné]

6h56 - Céladopole - Éclaircies

Un réveil retentit dans la pièce, annonçant le début de la journée. Le soleil perçant la fine couche de nuages présageait un temps agréable, idéal pour déambuler dans les rues de la ville en tenue confortable. Mais avant tout, il fallait se préparer ! Il se leva, descendit prendre son petit-déjeuner, rejoignit la salle de bain pour se rafraîchir et se laver les dents puis prit son sac et s’en alla pour cette nouvelle journée de travail, respirant à plein poumons l’air frais qui s'engouffrait dans ses narines.

Pendant ce temps-là, Gordon dormait paisiblement dans son lit pour encore deux bonnes heures, tandis que son voisin venait de partir au boulot peu après le lever du soleil. Il ne le connaissait pas spécialement, mais parfois il le regardait silencieusement, debout depuis sa fenêtre. C’est donc aux alentours de 9 heures que le petit reporter se réveilla pour rejoindre Tessa et son équipe au centre-ville. Chapeau vissé sur les oreilles et micro en main, Gordon quitta la pension en inspirant à son tour l’air frais de l’extérieur.

Aujourd’hui aucun événement particulièrement marquant n'était prévu de se dérouler à Céladopole. C’était le début de l’été, les pickpockets profitaient de la foule pour cibler les touristes et locaux un peu trop distraits, quelques malaises étaient signalés par manque d’hydratation et le soir, au moment de l’apéro, l’alcool faisait s’échauffer les esprits des moins endurants qui finissaient par se battre sur les terrasses.

A la fin de la journée, Gordon s'entretint avec Tessa pour lui demander un jour de congé le lendemain; le matin-même, ses parents lui avaient demandé de rendre une petite visite à la tombe de son oncle, dans la Tour Pokémon. Oui enfin… Ses parents morts. Rendre visite à son oncle mort. Une journée banale quoi.


14h12 - Lavanville - Éclaircies

Gordon avait pris le bus comme tout citoyen normal pour rejoindre la ville voisine à Céladopole. L'humaine qui l'accompagnait habituellement n'avait pas vu d'inconvénient à cette journée loin des projecteurs, ayant elle-même des obligations universitaires. Si tout allait bien, ils se retrouveraient donc le lendemain à la grande enseigne de vente de café dans laquelle ils notent le nom du client sur le gobelet, où ils avaient l'habitude de commencer leur journée de travail (Amonistarbucks, pour ne pas la citer).

Déformation professionnelle ou véritable habitude, le Psystigri n’avait pas omis d’emmener avec lui son borsalino nettoyé la veille pour l’occasion et son micro-stylo, juste par précaution. Il avait également préparé quelques clichés pour montrer à son oncle comme la ville de ses parents et ses environs avaient changé depuis son décès, mais qu’il n’avait pas à s’inquiéter car les nouvelles infrastructures permettaient le développement économique de la métropole. Oui, l’oncle de Gordon était capitaliste.

Bref, toujours est-il qu’aujourd’hui, le jeune Pokémon passait la journée plus ou moins seul, ce qui ne lui arrivait pas souvent étant donné son emploi du temps plutôt complet. Les flash infos, ça ne pouvait généralement pas attendre ! Dans sa tête, il était accompagné par ses amis présents en guise de soutien moral, avec qui il papotait mentalement une fois sorti du bus, le temps de compléter à pied son chemin vers la Tour. Les blagues de Gaspar étaient toujours à mourir de rire, si vous pouviez les entendre ! Elles permirent au Psystigri d’être détendu au moment d’arriver au pied du monument (mais n'espérez pas le voir esquisser un sourire, vous n'êtes pas encore assez intime).

Il n’y avait généralement pas trop de monde en semaine, les humains préférant venir en week-end ou après leur journée de travail et les adolescents cherchaient plutôt des sensations fortes une fois la nuit tombée. Gordon pu ainsi monter tranquillement quelques étages de la tour, qui l'abritait désormais du soleil. Sa fraîcheur n'était pas déplaisante, bien qu'elle puisse faire penser que des mauvais esprits traînaient dans le coin dans l'espoir de donner des frissons aux aventureux visiteurs. Le petit reporter trouva finalement l'emplacement des vestiges de son oncle et se mit à lui parler, toujours d'une voix calme, grave et monotone. Il s'était assis par-terre, ses petites jambes vers l'avant comme quand vous vous asseyez sur un fauteuil trop profond dans lequel vous ne pouvez pas plier les genoux. Il tenait devant lui, avec ses petits bras tendus, les photos qu'il avait emportées en lui expliquant les changements dans les différents quartiers.

Depuis combien de temps suis-je assis sur ce banc ?

Les passants doivent se le demander. Je les vois qui défilent entre les étages de la tour Pokémon, bras chargés de fleurs, de souvenirs ou d'offrandes, ils viennent présenter leur affection à leurs compagnons disparus. C'est un beau geste du coeur, une occasion de se rémémorer des souvenirs précieux. Et moi je suis là, piqué comme un voyeur, qui lève l'oeil vers eux à leur montée puis à leur descente des marches, je ne bouge pas, je ne fais rien que griffoner sur mon carnet et tapoter sur mon Pokématos. On doit me prendre pour un parasite, un drôle de type, un fou peut-être... ou un sans-abri. J'en ai presque l'allure avec mon survêtement ample et sombre qui m'efface, avec mon bonnet bleu fluo qui crie à un besoin désespéré d'attention.

En suis-je réduit à ça ? À attendre passivement qu'on vienne m'expliquer ce qu'il faut faire pour avancer ? Pour aller mieux ?  
Putain.
Non.

Je me suis pointé à Lavanville parce que je n'avais pas envie d'être ailleurs aujourd'hui. C'est calme ici, on se sent apaisé. L'esprit peut se vider. Un arbre pousse devant moi, nourri par un puits de lumière aménagé pour son seul confort, il fait plus frais ici qu'au-dehors. Il semble heureux, en paix, comme les autres habitants des lieux.
Certains ont beau venir le voir les larmes aux yeux, il leur sourit. Certains le redoutent, mais il les rassure. Il a été planté il y a sept ans, dans le deuil, la colère et la douleur, il commémore l'accident du centre commercial de Céladopole. Il célèbre toutes les vies perdues, celles des humains comme celles des Pokémons. Il a émergé de l'année noire. Je cherche en lui des réponses.

C'est en ce lieu très spécial, chargé en émotions et en spiritualité que je cherchais aujourd'hui à écrire. J'avais trouvé le parfait sujet et nous nous étions donné rendez-vous un peu plus tard dans l'après-midi. J'avais décidé de l'emmener se promener, se rappeler de vieux souvenirs ensemble, papoter, retrouver la confiance et le mettre à l'aise avant d'évoquer avec lui l'histoire plus intime qui nous intéressait.

Loupé.
On venait de raccrocher.
De s'engueuler encore sur des broutilles.
Il ne viendrait pas. Moi non plus.

Le menton dans le creu de la main, je pousse un soupir. Combien de temps vais-je encore rester sur ce banc ? Je croque encore le portrait d'une branche, las, les idées viennent mais ne se formulent pas complètement, je gribouille pour rester concentré mais un drôle de petit Pokémon attire mon attention.

"Salut toi."

C'est étrange. C'est assez courant de voir des Pokémons spectres se promener dans le coin, la plupart du temps ils jouent des tours aux visiteurs de la tour qu'ils sentent les plus intimidés, jamais rien de très méchant, ils s'excusent même parfois. Il y a aussi de plus rares Pokémons plante ou vol qui profitent de l'atmosphère particulière des lieux pour construire leur nid. Ce n'est aucun de ces cas là.
Plus curieux, habillée d'un Borsalino en feutre et présentant un certain nombree d'images et de photographies entre ses pattes, le petit animal donnait l'impression d'être un petit enfant perdu.

"Tu t'es perdu ? Ton dresseur est dans les parages ? Je ne vous ai pas vu arriver, peut-être que... Oh... "

Reconnaissant facilement la bouille peu émotive d'un Psystigri lorsque, répondant à la sollicitation il se tourne vers moi, je remarque aussi qu'il est face à une des nombreuses tombes ménagées le long des racines de l'arbre. Mentali à côté de moi baille, cette conversation l'intrigue mais il tient à faire remarquer qu'on le réveille d'une très confortable sieste. Il a son caractère, j'ai appris à faire avec.

"J'imagine que toi aussi tu as perdu quelqu'un ? Tu es peut-être venu là tout seul finalement, non ? "

Le soleil de l’après-midi plongeait le paysage dans une lumière apaisante qui invitait à la sieste. C’était également l’heure qu’attendaient les personnes qui voulaient s’offrir un temps d’arrêt dans leur journée et profiter des longues heures d’ensoleillements qui s’offraient à eux.
À l’abri sous l’ombre d’un arbre, à la frontière entre le sommeil et le monde réel, Kira préférait se réjouir de l’arrivée prochaine des vents frais et des rayons orangés qui officialisent l’abdication du soleil en faveur de la nuit. Mais pas aujourd’hui… Le piaillement des rouxcools, les insectes qui s’agitaient et le défilé d’images dans sa têtes lui refusaient l’accès au sommeil. Il finit par ouvrir ses yeux pour fixer un point dans le vide qui finit par prendre la forme d’un buisson une fois que le voile qui floutait le paysage s’estompa entièrement.
Un bâillement. Avoir tout le corps engourdi avec le vertige était la pire sensation de réveil qu’il connaissait mais bon, que pouvait-il y faire.

Quittant le sous-bois il finit par rejoindre Lavanville. Il avait trouvé dans cette petite ville au piedmont un paysage et une ambiance qui lui rappelait Rosalia. Même les humains avec leur tenues traditionnelles, un peu hors du temps, savaient comment s’intégrer dans ce paysage. L’air marin venant du sud était finalement la seule chose qui l’avait dépaysé à son arrivée. Aujourd’hui il ne pouvait plus s’en passer.
Il marcha un moment dans le village, à la recherche d’un nouveau coin d’ombre ou d’une chose à faire qui pourrait le distraire. Il prit un virage entre deux vieilles maisons avant de rejoindre une rue plus large fréquentée par les gens du coin. Mal à l’aise au centre de ce terrain découvert, surtout en plein jours, il se jeta dans la première ruelle venue. Impossible de se concentrer sur la route à prendre, ses pensées étaient polluées par les derniers évènements. L’étrange pokémon spectre de l’autre soir, le loup venu de Céladopol… Pourquoi d’ailleurs, après sept longues années, cette ville continuait de venir le hanter comme si il lui devait encore quelque chose. Ne pouvait-elle pas disparaître dans un nouveau souffle et prendre avec elle tous les débris et autres choses incomplètes qu’elle a semé des années au paravents ? Un souffle qui pourrait aussi le ramènerait à Rosalia et emporter ce goût amère qu’il avait dans la bouche depuis un moment et pourquoi pas refaire de lui ce petit évoli innocent qui ne demandait qu’à vivre à la campagne au rythme des saisons… Et voilà à présent c’était la nostalgie qui venait s’ajouter à la longue liste de choses qui se dressait entre lui et le repos !

Finalement, un peu comme si tous les chemins menaient à elle, il finit par se trouver en face du monument qui dominent tout Lavanville. L’obscurité et la fraîcheur qui se dégageaient de l’entrée de ce cimetière construit à la verticale était une véritable invitation à s’abriter de la lumière du jour et du regard des rares passants.

Étrangement il connaissait mal la tour pokémon de l’intérieure. Elle avait toujours été ce piliers caché derrière la brume, marquant un point l’horizon qui ajoutait un côté mystique et légendaire au paysage qui se dessinait depuis le front de mer.

L’intérieure était des plus banales, des étages qui se superposaient et où semblait pousser les pierres tombales. Au moins il ne recherchait pas l’aventure et le dépaysement, juste un endroit où souffler avant la nuit… Mais même ici, où l’obscurité devait calmer son angoisse, il n’arrivait toujours pas à reprendre le contrôle des pensées qui défilaient dans sa têtes…Puis une lumière, au centre d’une salle immense, attira son attention. N’ayant rien de mieux à faire, il prit la peine de s’avancer, par curiosité au début puis sans comprendre comment ni pourquoi, il se sentait attiré par cette endroit. Il finit par se trouver à quelques mètres d’un arbre qui poussait au centre d’une colonne de lumière qui émanait du plafond a plusieurs mètres du sol. Beau, majestueux, apaisant ? Il ne savait pas quel mots plaçait à cet instant mais cela n’avait pas vraiment d’importance. L’écorce avait l’air d’être recouvert d’argent et la cime, bien droite, devait indiquer le chemin vers l’autre monde aux âmes égarés… Et le voilà poète à présent ?!

Quelques minutes encore il resta à la même distance de ce sanctuaire comme pour témoigner son respect à ce lieu qui a réussi à calmer le flux infernal qui s’écoulait dans ses pensées. Enfin apaisé, il souriait presque en se demandant si c’était une zone de prière pour calmer les spectres ? Il prit la peine de s’avancer un peu pour observer le tout de plus près. Il y avait bien des inscriptions mais un signe l’attira en premier, il y avait au centre de ce qui semblait être une plaque commémorative, les insignes de la ville de Céladopol…Encore elle, toujours elle, même ici ! Pourquoi les humains s’obstinaient tellement à vouloir maintenir leurs blessures grandes ouvertes ! Ridicule était le mot et déjà il pouvait sentir de la colère monter. Il essaya l’espace d’une seconde de l’empêcher d’agir mais l’envie d’exploser cette dalle était beaucoup trop tentant. Signe que ses émotions reprenaient le dessus, ses anneaux se mirent à émettre une lueur dorée qui, s’il avait su comment utiliser la capacité flash, aurait vite dominé la lumière installée pour les besoins vitaux de cet arbre.

Un bruit, quelqu’un parlait, il n’était pas seul. Cela eut pour effet de mettre un stop au ressentiment qui grandissait dans son ventre. Il y avait, de l’autre côté du tronc à quelques mètres de lui, ce qui semblait être un clochard accompagné de deux pokémons, un psytigri vêtu d’un chapeau qui avait l’air de tenir quelque chose dans ses pattes et, comble de l’ironie, un Mentali qui sommeillait au pied du punk-à-pokémon.

Il fit un pas de côté s’exposant en face du groupe mais en gardant ses distances, attendant de voir si une réactions allait arriver. Un peu gêné, la baisse de tension eut cependant pour effet d’apaiser la lueur de ses anneaux qui reprenaient une teinte habituelle. Instinctivement il balaya rapidement son regard pour s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre mais à part le trio d’en face, pas le moindres signaux. Un soulagement. L’humain et le psytigri semblait avoir une discussion tandis que le dernier membre du trio poussait un bâillement, signe qu’il était finalement réveillé. Posant brièvement son regard sur ce dernier, il espérait que le groupe s’en tienne à ses occupations sans trop lui chercher des ennuis…

Alors que Gordon racontait à son oncle la fois où ils avaient couvert l’ouverture d’une pizzeria autorisant les pokémons en cuisine, une présence se dirigeait vers lui. Le petit pokémon tourna la tête pour voir qui venait perturber son histoire et vit un humain accompagné d’un félin mauve. Il n’aurait jamais pensé que des sans-domiciles fixes auraient l’outrance de se réfugier dans un lieu destiné à se recueillir, puis il se dit que ça serait une expérience intéressante que de s’immerger dans leur quotidien afin de découvrir leur univers. Il pourrait tout-à-fait se faire passer pour un pokémon mendiant, se créer une couverture afin de s’immiscer au mieux dans ce monde de la rue et gagner la confiance de ses habitants. Il voyait déjà en gros titre “un journaliste en infiltration révèle les secrets des tréfonds de Céladopole”. La question des caméras discrètes se règlerait plus tard...  Il nota cette suggestion dans un coin de sa tête et en parlerait à Tessa à son retour ~

Tandis qu’il se perdait dans ses pensées, le bipède sans fourrure se mit à lui parler et Gordon recentra son attention sur l’homme. Voilà qu’il lui faisait la conversation. Vous avez déjà compris, vous, pourquoi les adultes s'évertuaient à parler à des créatures qui ne pouvaient de toute façon pas leur répondre de façon intelligible ? C'est un peu comme parler à un bébé : "Tu as faim ? Il faut changer la coucouche ?" Et là, imaginez un instant qu'il vous réponde correctement haha ! Et bien là c'était un peu pareil. "Tu t'es perdu ? Tu cherches ton dresseur ?" Comment lui expliquer ce qu'il faisait là sans utiliser la parole… Lui vit alors une idée : la solution, ce sera le mime !

Le Psystigri se releva sur ses pattes arrières et entreprit une petite chorégraphie pour faire deviner son histoire à l'autre bipède. Accrochez-vous, personne n'est prêt pour ça.
Gordon commença par tendre une photo de l'oncle au jeune homme, puis avec sa patte gauche, il guida le regard vers une tombe avant de rabattre son bras. Là il marqua une petite pause, avant de repointer la photo en tapotant dessus avec cette même patte. Tandis qu'il tenait toujours l'image tendue avec sa dextre, il poursuivit en faisant des cercles sur son ventre et en tirant la langue sur le côté, puis montra sa bouche ouverte avec l'un de ses coussinets. Il espérait vraiment ne pas avoir déjà perdu son auditoire, sinon ça allait compliquer la suite de l'histoire…
Le reporter en congé posa cette fois la photo avec les autres afin d'être plus libre dans ses mouvements. Il se mit de profil et poursuivit par l'alternance d'un geste vertical : en dirigeant sa patte avant droite vers le haut en même temps que sa patte arrière gauche, puis en sautillant sur place pour effectuer le même mouvement avec les membres opposés, le tout en levant la tête pour regarder au plafond. Il enchaîna quelques instants ce geste répété, puis s’immobilisa sur place à la fin de son mouvement. Enfin, il pivota le haut de son corps en tendant l’une de ses pattes derrière lui et suivant son action du regard, son autre patte restant toujours vers l’avant. Il agita son bras vers l’arrière en faisant mine de pousser avec son corps, mais toujours en restant sur place, un bout de langue glissé sur le côté entre ses lèvres fermées. Il jeta un oeil au sol avant de recentrer son regard sur sa main qui continuait à s’agiter. Il finit par ramener la patte restée devant vers l’arrière, ses pieds, ses jambes et son bassin toujours dans la direction opposée au haut du corps. Vous savez, un peu comme si vous marchiez et que quelqu'un vous appelait de derrière et que vous aviez la flemme de vous retourner ? Et bien Gordon se retrouvait dans cette position, mais les bras tendus en plus, vers l’arrière. Il continua à gesticuler dans cette position, puis se mit à faire de grands ronds avec ses membres avant et en écarquillant les yeux, se souleva sur la pointe d’un pied pendant que l’autre se mit à se balader de façon incontrôlable, puis le Psystigri se laissa tragiquement tomber au sol. Une fois par-terre, il se roula sur le dos, les yeux fermés et la langue sortant dramatiquement de sa bouche entre-ouverte.

Le petit acteur ouvrit légèrement un oeil pour regarder la réaction de son auditoire, puis il aperçut une lueur dorée dans le fond. Son jeu d’acteur était-il si performant que son mime avait mal tourné et qu’il voyait à présent une lumière au bout d’un lieu sombre ? Ou bien était-ce une porte venant de l’Au-delà et son oncle arrivait pour le féliciter de son nouveau talent, tellement son imitation était claire et explicite (n’est-ce pas ? Huhu) ! Voyant que la lueur diminuait petit-à-petit, Gordon rouvrit ses yeux et se releva en s’époussetant. Son oncle ne viendrait pas aujourd’hui. Il regarda un instant l’humain et son Pokémon pour voir s’ils avaient suivi ou s’ils affichaient un air perplexe et tendit au bipède une carte de visite qu’il gardait toujours dans son chapeau pour se présenter.

Il fit ensuite un pas sur le côté pour guetter la provenance de la lumière divine qui avait disparue et aperçut dans le fond un quadrupède sombre avec des anneaux qui luisaient légèrement à présent. Le Psystigri regarda le pokémon qui accompagnait le jeune homme, puis à nouveau l’inconnu qui se planquait dans la pénombre, et s'adressa avec son habituel ton monotone à la créature mauve en pointant de la patte le stalker :

- Je crois que votre ancêtre nous observe derrière vous. Ce n’est pas mon oncle, alors c’est probablement le vôtre. De quoi est-il mort ?

L’humain et son pokémon ne semblaient pas avoir remarqués quoique ce soit, sans doute étaient-ils sous l’influence d’une drogue pour être autant déconnectés de leur environnement ? Enfin s’ils étaient en train de planer avec une mélodie reggae dans pour unique file de penser, ils, du moins l’humain, devait être un minimum sensible aux stimuli les plus basique. Preuve en est, il essayait toujours de communiquer avec ce psytigiri chapoté comme si le pokémon était en mesur de lui répondre… À en juger les mimiques du petit félins bipède, lui aussi s’était donné pour tâche d’arriver à communiquer avec cet humain. Pourquoi ne passait-il pas par un intermédiaire comme par exemple l’autre félin de type psy qui …devait visiblement être à un stade beaucoup plus avancé dans son voyage psychédélique.
Une seconde, pourquoi l’humain voulait autant aborder les pokémons qui se rapprochaient de lui ?
Certes il était imprudent d’émettre des hypothèses sur les apparences mais avec les humains l’habit faisait souvent le champion d’arène ! Plus de doutes à avoir, caché à l’abri des regards dans le coin le plus glauque de Lavanville et en pleine journée, cet homme mal fagoté devait être un dealer de drogue qui venait tester sa came sur les pokémons qui lui passaient sous le nez. Le type psy pour dénominateur commun entre les deux victimes, l’homme devait peut-être penser que sa drogue agissait de la même manière sur les pokémons de ce type que sur les humains.

Bon cela faisait pas mal d’hypothèses farfelus mais tous les signaux allaient en ce sens ! En tout cas, il y avait là une jolie occasion à saisir pour obtenir des bénéfices des services de police de cette petite région perdu dans l’arrière-pays de Kanto. Outre une récompense sans doute gustative, avoir bonne réputation parmi les humains responsables de l’ordre est un véritable atout qu’un grand nombre de pokémons sauvages négligeaient bêtement. En tout cas, il avait tout à gagner dans cette opération, alors ce fut avec discrétion qu’il fit un pas en arrière en direction de l’entrée par laquelle il était venu. Avec un peu de chance, sa présence avait été effacée par l’obscurité. Aussitôt sorti de la tours, il irait rameuter les forces de l’ordre comme le ferait tous bons citoyen soucieux du bien-être de sa communauté. Le plan semblait parfait, simple et sans accros mais c’était sans compter sur le petit félin gris au chapeau plus large que son crâne qui se mit à balancer des mots qui se chargèrent d’achever ce qui lui restait de discrétion. Raté, il avait finalement été repéré… Repéré par qui ? un drogué toujours dans les vapes et ses clients ? En fait c’était inutile et fatiguant de jouer la carte de la discrétion. Ce groupe n’était pas prêt à s’envoler d’aussitôt. Un pas en avant histoire de bien se montrer, incliner légèrement la tête pour faire bonne figure (…ce qu’il ne fallait pas faire avec les coutumes humaines) et surtout, pour ne pas paraître trop suspect. Une fois tout ce cinéma achevé le plan pourrait reprendre là où il avait été mis sur arrêt.

« Je ne fais que passer. » Avait-il lancé au psytigri, en se donnant même la peine d’articuler chaque mot comme le ferait un pokémon sauvage lambda. Vu sa dégaine et le cadre de la scène, il se disait qu’il allait facilement passer pour un visiteur habituel de la zone. Mais avant de reprendre son chemin quelque chose piqua sa curiosité. Un objet que le psytigri avait tendu à l’humain. De l’argent ? Et si ce pokémon faisait la commission auprès du dealer pour quelqu’un d’autre ? Et si en fait il s’agissait d’un réseau clandestin de dealers qui venaient d’élire domicile dans la Tour pokémon ? Oh que tout ça paraissait juteux. Il fallait creuser cette piste et récupérer quelques preuves, à commencer par cette carte que tenait le psitigri. Sans trop d’effort il amena gentiment la carte à lui en se servant de sa capacité psycho. Hors de question de faire trop d’effort physique non plus. L’objet était une carte de reporter, ce psytigri n’était pas un client mais un journaliste qui venait enquêter sur les trafics de drogues de Lavanville… Devancé par la presse, et ce n’est jamais bon signe de voir un reporter isolé. Dans le monde civilisé généralement quand on en voyait un, d’autres allaient vite arriver. Il y avait cependant encore le temps de tourner tout ça à son avantage, déjà il fallait vérifier ce que ce reporter savait, si ce dealer agissait seul ou s’il y avait bien un réseau. S’approprier les faits pour en faire le rapport aux forces de l’ordre, difficile mais jouable. Il s’adressa donc au journaliste sans prendre la peine de lever son regard de la carte qu’il venait de chiper enfin, d’emprunter.

- Le reporter, tu es venu enquêter sur les trafiquants de drogue ? Ce dealer n’agit donc pas seul c’est bien ça ?

Avec un peu de chances, le client, son « reflet » violet de type psy, allait réagir et trahir ses autres fournisseurs, là il n’aura plus besoin de chercher plus d’informations.

"C’est la fête des Pokémons errants… " dis-je pour moi-même, subissant l’entrée en scène du Noctali comme s’il était apparu dans mon appartement.

Rien de bien étonnant pourtant à le trouver ici, dans un lieu si bien préservé, coincé entre nature et sacré ; ce qui l’est davantage c’est de me retrouver face à un collègue reporter. Je ris intérieurement. D’habitude ce sont plutôt mes collègues du Daily Pelliper qui me trouvent perdus dans ce genre de pensées : « Où sont les caméras ? Où sont les micros ? Qu’est-ce qui agite encore le bocal de Monsieur De Leorios aujourd’hui ?! ». Les enfoirés…


Il suffit que je pense au boulot et ma rédactrice débarque. Mon Pokématos vibre une première fois, mais je sais d’avance que ce n’est pas la dernière, elle n’est pas du genre à écrire de longs messages.


Je ne me suis pas trompé. Qu’est-ce que tu veux que tu veux que je te dise Charline ?
Que je ne me sens pas bien et que je veux déposer un jour de congés maladie ? Qu’il faudrait peut-être mettre quelqu’un d’autre sur le coup avant de louper l’occasion du siècle ? T’exagère. Ce n’est pas un si gros sujet à couvrir. Mon angle est le bon, c’est ça qui te plaît mais tu ne penses déjà qu’au tirage. Quoi d’autre ?

Que je préfère faire la conversation avec un Psystigri en langue des signes ? Qu’il raconte avec des gestes touchants et avec beaucoup de mélodrame et d’actes, sa vie, ses désirs, ses pertes, tout ce qui l’a amené à forger sa carrière et à devenir le Pokémon d’action qu’il est à présent.
En voilà encore un bon sujet sur lequel je vais avoir des choses à dire et un bon angle à te vendre. Prenons le Pokémon Reporter, c’est vachement plus intéressant que les vieilles histoires de famille à Kanto, non ? Ça plaît au gamin, ça plaît au Pokémon, tout le monde aime le Pokémon reporter, n’est-ce pas Charline ?

On est pas obligé de parler de Tommy Leorios dans l’histoire de « Gordon – Reporter on PokeTV », pas une seule mention.
Peut-être un « je » au début de l’article, histoire de placer la narration, d’introduire le lecteur. Le mettre à la place du journaliste qui découvre, qui connaît vaguement, qui a sans doute entendu parler du phénomène par sa gamine. Peut-être bien préciser que deux ou trois de ses Pokémons sont déjà de grands fans et que, si à présent il n’a jamais vraiment pris le temps de s’y intéresser maintenant il regrette. Il est curieux. Il veut attiser la curiosité de son public, de son lectorat, de ceux qui feuillettent en ne lisant chaque fois les trois premiers lignes des articles, ceux-là il ne veut pas les perdre.


Et puis on veut en apprendre toujours plus. Qui est la star ?
On veut savoir l’envers du décor.
Où loge-t-elle ? Que fait-elle de ses journées ? Comment choisit-elle ses sujets ?
Et puis tout le background, son équipe de tournage, les affinités et les relations qu’ils partagent.
Comment devient-on un reporter Pokemon ?!

Pourquoi n’est-il pas escorté ? Ne risque-t-il pas de se faire attraper par la première Pokéball qui passe ? Il y en a des dresseurs frénétiques qui lance leur baballe sur tout ce qui bouge.

Ce serait fou qu’il se fasse capturer en plein live, vous imaginer ?!



Fini.

Je passe mon Pokématos en mode silencieux, comme il aurait dû l’être depuis mon entrée dans la Tour Lavanville – faute de professionnalisme, je vais au moins honorer les défunts du minimum de respect que je leur dois – et je le range bien au fond de ma poche. Faut vraiment que je décroche.

Pendant mon égarement, les deux Pokémons ont continué de converser. Le Noctali semble préoccupé et son regard, qui s’agite régulièrement de droite à gauche, ne cesse de retourner dans ma direction. Que me veut-il ?

J’interroge Mentali du regard, mais il n’a pas décidé d’être d’une plus grande aide que d’habitude. Ses pensées amusées me laissent songer que je suis un des objets de la conversation, et que je n’ai pas forcément raison d’en être flatté. Peut-être est-ce une simple mise en garde contre la menace que je représente en tant qu’humain, peut-être est-il déjà victime de la Gordon-Mania (que je n’ai pas encore suscité rappelons-le pour plus tard). En tout cas si le félin lilas ne réagit pas plus c’est la situation tient davantage du ridicule que de l’hostilité.

Tant mieux pour moi.

"Il est un peu maigre ce Noctali, non ? Il a peut-être faim, qu’est-ce que t’en dit ? "

Moi et ma carpette psychique on ne communique plus de la même façon.
On a vieilli tous les deux, et je pense qu’on est toujours aussi fusionnel ; mais converser librement en pensées comme on le faisait si souvent, ce n’est plus trop dans nos habitudes. Ma dépression a joué et l’âge apporte aussi des changements de mœurs. On a parfois besoin d’un peu plus d’intimité, certains messages et émotions passent également beaucoup mieux quand elles ne sont pas verbalisées.

Tout ça pour dire que je me sens un peu à côté de la plaque avec ce Noctali et ce Psystigri, mais que je fais de mon mieux.

Je sors quelques biscuits pour Pokémon de mon sac, l’en reste encore un petit stock et ça ne fera pas mal à mes pépères et à mes mémères de partager.

"Vous allez voir, c’est une petite fabrication artisanale, ils sont délicieux !... "

Je m’apprête à tendre les biscuits, laissant déjà deviner aux Pokémons sauvages leurs délicieuses effluves, pour entrer dans la discussion et les amadouer comme je peux, mais c’est alors que se déroule la scène la plus improbable du monde.

Deux Natu tombent des branches du mémorial juste sous nos yeux. L’un fait une pirouette avant de tomber sur le dos, l’air complètement groggy tandis que l’autre, après avoir successivement butter dans Gordon puis dans le Noctali, il continue de se cogner dans une pierre tombale qu’il essaye encore et encore de traverser.

Qu’est-ce qui se passe ?

Le félin mauve ne daignait pas répondre. En revanche, son homologue noir adressa bel et bien la parole au reporter en congé. En fin de compte, peut-être que c'était la version colorée le défunt dans l'histoire ? C'est vrai qu'il semblait un peu palôt. Pourtant l'humain semblait lui jeter de temps à autre des regards sans avoir l'air inquiet…

- Le reporter, tu es venu enquêter sur les trafiquants de drogue ? Ce dealer n’agit donc pas seul c’est bien ça ?

Ah, des substances illicites pour compléter le tableau. Ça expliquait probablement pourquoi il était en capacité de voir les morts. Gordon analysa la situation et conclut qu'il fut un temps, il devait s'agir d'un binôme de sans abri. Afin d'affronter la faim, le froid et la pluie, ils se sont probablement mis à la consommation de drogue afin d'oublier la vie misérable qui les entourait. Dans une ultime tentative d'échapper à la triste réalité, une overdose aurait mis un terme aux souffrances du Mentali, laissant son dresseur, seul, face à la rue et le faisant plonger bien plus profondément dans la tourmente et dans les abysses de la consommation… Une triste histoire, qui justifierait que son humain ait atteint un point de non-retour, désireux de faire tomber les âmes encore innocentes autour de lui afin de venger la mort de son compagnon.

Quoi qu'il en soit, la tour Pokémon n'était pas un lieu propice au deal ou à la prise de drogue, aussi il ferait mieux de s'en aller avant que les choses ne dégénèrent. Gordon se tourna vers le Noctali pour lui répondre :

- Je suis venu me recueillir sur la tombe de mon oncle mort. Il poursuivit en pointant le Mentali : Ce Pokémon est votre proche décédé, dont l'âme suit encore son dresseur ? Une overdose doit être un événement terrible pour ceux qui restent. Je ne sais pas si vous êtes là pour la marchandise, mais ne faites pas la même erreur que lui, vous avez toujours une chance de vous en sortir.

Tandis que les deux petites créatures discutaient, l'humain regardait son téléphone avant de le ranger puis chercher quelque chose dans son sac. Si c'était de la drogue, cela signifiait-t-il qu'il prenait le Noctali et le Psystigri pour des clients potentiels ? Appris avoir achevé son compagnon mauve, il voulait peut-être en faire de même avec le félin noir ! Mais Gordon ne ressentit pas ce frisson qui lui était propre, perceptible lorsqu'un événement important allait se passer et qui permettait de lancer la caméra avant même que l'action ne se déroule. Finalement le bipède sortit de son sac des biscuits. Était-il… "Spac"iaux (c'est un jeu de mot : space cookies + spéciaux, ça fait spaciaux huhu) ou innocents ? En tout cas, il fallait reconnaître que l'odeur était plutôt alléchante…

La situation prit une autre tournure lorsque deux volatiles se firent remarquer d'une manière pour le moins inhabituelle. Ils avaient pop depuis l'arbre massif qui trônait au centre de la pièce avant d'effectuer diverses actions qui n'avaient aucun sens. Gordon pensa qu'il pouvait s'agir de clients pokémons qui avaient consommé, quelques instants auparavant, lesdits biscuits présentés par l'homme. Il prit une décision inhabituelle - lui qui n'utilisait que très rarement ses attaques - en lançant un Choc Mental sur les Natus, dans l'espoir de les calmer un coup en les assommant gentiment. Avec un peu de chance, la confusion pourrait les mettre ko le temps que la substance dans leur petit corps fragile se dissipe.

À présent, le doute n'était plus possible. Le Psystigri leva sa patte droite avant de l'abattre sur le cookie tenu par le dealer, tel un karatéka averti qui casse une planche. Il fit ensuite des mouvements de "va-t-en" avec ses pattounes, puis face à la perplexitude du bonhomme, le petit bipède se décida à lui mordiller les mollets pour le faire partir.

- Votre place n'est pas ici individu louche. Respectez ce lieu sacré ou vous en subirez les conséquences. Vous n'emporterez pas l'autre quadrupède ni les volailles dans vos manigances. Oust. Puis il se tourna vers Kira : Monsieur, ne suivez pas cet homme, vous pouvez vous en sortir. Laissez-moi vous aider. Je me présente : Gordon, reporter. Accepteriez-vous de répondre à quelques questions, pour une enquête sur les addictions ? Nous pouvons trouver un endroit plus calme et loin de cette personne de mauvaise influence. On devrait probablement aussi aider ces oiseaux dans la détresse.

Décidément, rien ne pouvait échapper à son expérience de journaliste professionnel. En quelques minutes, il avait cerné le dealer, ses intentions, ses clients, et le voilà à présent prêt à aider les victimes de cet odieux individu !