Quel lancé ! [TOMMY]

Un soleil de plomb irradiait un ciel où les nuages faisaient preuve d'une timidité grandissante. Le début de matinée s'annonçait menaçante, par quelques cumulus grisonnants mais qui surent faire de la place au beau aux alentours des onze heures. Par précaution, Taiki s'était revêtu d'une casquette rouge portant une inscription "I <3 hot", cadeau offert par une certaine personne qu'il se refusait de jeter malgré la vilaine tentation qui s'abattit sur lui quand il comprit enfin qu'il y avait une référence autre que celle du type de son arène. C'est-à-dire au moment où une dame d'un âge relativement plus avancé que le sien le dévisagea des pieds à la tête et lui offrit un sympathique clin d’œil qui lui fit l'effet d'une douche froide.

Soupirant et vissant d'avantage sa visière pour camoufler le rouge de ses joues, le champion tout feu tout flammes observa les alentours pour échapper aux regards lourds de sous-entendus de Mamie devant lui. Tous deux faisaient partie d'une immense foule, qui, vue du ciel, tenait davantage du nid de Dardagnan géant qu'à plusieurs individus groupés à la même place. Un bruit sourd résonnait à l'intérieur du Dôme malgré son espace ouvert, et l'excitation était bien palpable. Après tout, il s'agissait d'un match de softball. Enfin, non, ce n'était pas la raison première de la popularité du Dôme peu avant les coups de midi. De plus, le match en question n'était même pas celui des demi-finales. Il s'agissait de l'énième de la saison dont le but était la qualification pour les championships. Mais ce qui attirait tout ce monde était la présence ravissante de Blanche, championne adorée de sa région, génie tactique et pokéathlète confirmée. Elle avait son lot de fans, autant d'un point de vue de dressage que sportif, et également quelques Excelangues douteux, cependant Taiki ne faisait partie d'aucune catégorie. A vrai dire, on l'avait formellement invité à cet évènement, lui qui venait de son petit îlot et ne participait que très rarement aux manifestations, quelles qu'elles fussent. Plus par une politesse élémentaire que par réel intérêt pour l'évènement en question, Taiki avait accepté le billet tendu devant lui par le comité politique local. Une occasion de faire des rencontres et de parler de la beauté de Cramois'ìles dans la région de Johto, lui avait-on dit. Ou un coup d'état finement mené pour libérer sa caserne et son arène dans le cadre d'un contrôle technique qu'il n'avait cessé de repousser pour faute de temps, c'était également possible. Pas sûr que les lances-flammes et les pistes imbibées de kérosène de son arène furent très "assurance-compatible" mais Taiki n'en avait cure. Il ne poursuivrait pas les questions pièges d'Auguste et il avait été très clair à ce sujet au dernier Conseil.

Distrait par ses réflexions, le trentenaire remarqua à peine qu'il n'avançait plus au rythme de la foule pour prendre place dans le stade et sentit une masse s'écraser dans son dos. Connaissant sa stature, il ne s'en vexa nullement et se retourna davantage dans un souci de n'avoir pas représenté un mur fracassant pour la malheureuse personne qui venait de fusionner temporairement avec ses omoplates, plutôt saillantes.

Parti pour dire un "Oh, je vous prie de m'excuser", sa voix dérailla quelque peu. Il sentit un liquide froid et visqueux couler le long de sa colonne vertébrale et l'assimila directement à la glace atrophiée que tenait mollement la personne dans sa main.

"Mais vous ne pouvez pas faire attention, non ? Et puis, un cornet, ça se tient fermement non d'un !"

S'emportant facilement, Taiki remarqua à peine qu'il avait déjà saisi le col de la personne et semblait agresse cette dernière.

J'ai encore oublié de passer à la banque ce matin. Faut aussi que je pense à payer le loyer pour le mois qui commence. Galère, mon Pokématos n'a plus de batterie, j'ai pas penser à prendre mon chargeur, je vais devoir m'occuper de ça depuis la maison.

J'ai beau être en plein dans une journée de travail, ce sont ce genre d'idées parasites qui occupent mes pensées, elle s'enchaînent, effacent les précédentes à la moindre occasion. C'est peut-être un problème d'organisation, mais depuis notre déménagement j'ai l'impression d'être sur tous les fronts et de manquer d'efficacité. Cela n'impacte pas la qualité de mon travail, je prends le temps qu'il faut pour terminer ce que j'ai à faire et en être satisfait, mais mes journés ont tendance à s'allonger.

Disons que lorsque je dois bouger de Céladopole comme c'est le cas aujourd'hui, je ne sais jamais trop à quelle heure je vais pouvoir rentrer, pas non plus celle à laquelle je vais pouvoir rendre mon article. Aujourd'hui j'ai rendez-vous avec le dôme Pokéathlon, la structure et le brouillon de mon article sont déjà griffonés sur mon cahier, mais je n'ai jamais assisté à un match de Soft Ball et plus important encore, cela fait depuis mon départ -sept ans plus tôt- que je n'ai pas répondu à un seul des messages de Blanche. Je risque de passer un sale quart d'heure ou, à défaut si elle me reconnaît, devoir rattraper tout le temps passé et de mon retour récent dans la région. Les arènes et leurs champions ont tenu bon pendant ces difficiles années de reconstruction, leur impact culturel, la sauvegarde du patrimoine de leurs villes, leurs riches personnalités et talents insoupçonnés... Être les derniers remparts contre le désintérêt qui s'était progressivement installé dans le rapport des humains aux Pokémons, ce n'était rien de moins qu'ils avaien apporté à leur deux régions. En parler, leur redonner bonne presse, faire renouer les challengers avec le défi des arènes, tout ça faisait partie du grand projet éditorial qu'on m'avait confié.

Un peu de pression hein.

L'heure approche à peine de pouvoir rentrer dans le stade et déjà je me fais du soucis sur le déroulement de la journée. Mon casse-croûte glacé dans une main, l'autre pianotant sur mon Pokématos, je profite de son petit reste d'autonomie pour exprimer mes craintes et prévenir Alice.



À peine le temps d'envoyer mon message que l'alarme de mon Pokématos se met à hurler qu'il va s'éteindre dans les prochaines secondes. Cette fois, il n'y a plus du tout de batterie. Je n'aurai pas la réponse d'Alice avant ce soir. Je ne vais pas pouvoir prévenir la mère d'Amélie non plus.

Ca me fait grimacer. Je ne suis déjà pas bien sûr que cette femme m'apprécie beaucoup, alors si je commence à lui refourguer ma gamine -adorable par ailleurs- à la moindre occasion, son idée toute faite sur mes compétences parentales n'en seront que renforcées. Je vais devoir trouver un combiné téléphonique ou emprunter celui de quelqu'un d'autre sinon je n'aurai pas l'esprit tranquille de l'après-midi. Cette pensée m'occupe quelques mètres de plus, j'ai Koori dans les pattes, qui s'impatiente, et le drame fini par arriver.

En moins de temps qu'il ne me faudra pour le réaliser, je perds ma glace, ma crédibilité, mon Caninos couine et un colosse me soulève de quelques centimètres. Je suis sur la pointe des pieds, surpris, un peu désolé, mais je n'ai surtout rien vu venir de la part de ma traître maladresse. Mon carnet tombe, se froisse, certaines pages s'envolent au vent.

"Shit... Excusez-moi, j'avais la tête complètement ailleurs..."

Voyant ma détresse, mon empressement et mes mains pleines qui ont du mal à se vider dans ma sacoche, le grand gaillard me laisse le bénéfice du doute et me lâche le temps de calmer mon Pokémon feu et de ramasser tant bien que mal ce qui n'a pas encore disparu ou été piétiné. Quand je lui refais face, c'est un soupir qui sort d'abord, puis un sourire ennuyé.

"Bonjour Taiki, je ne pensais pas vous rencontrer comme ça, je suis confus."

Mon flegme reprend le-dessus, et tandis qu'un sorbet citron continue de parfumer le derrière du champion d'arène de Cramois'île -il n'est pas bien difficile à reconnaître- je reprends contenance et profite du soudain mouvement de foule pour voir se dégager des places assises et des sanitaires.

"Tommy Leorios, neveu du Major, il me semble que vous le connaissez. Si vous venez en spectateur, je peux vous inviter à boire une bière  pour me faire pardonner, on pourrait s'installer ici." pour moi ça va être un café.

Nous n'aurions pas pu rêver meilleur timing.

La colère soudaine disparut aussitôt qu'elle fût venue quand ses yeux rencontrèrent ceux de son perturbateur. Le lâchant, par un effet de surprise qui lui fit l'effet d'une glaciale gifle, Taiki marmonna le prénom de cette silhouette qui s'affairait à calmer son Caninos et à récupérer quelques notes, dont certaines s'envolèrent au gré du vent. Tommy... Leorios.... La dernière fois que Taiki l'avait vu en cher et en os, il devait être âgé de quelque chose comme quatre ans. Après, il avait suivi sa carrière par le biais des médias, qui à l'époque, raffolaient du charme naturel de Tommy et de son flegme à toute épreuve. Désormais, les traits juvéniles et parfois arrogants du jeune homme s'étaient transformés en un visage plus fermé, peut-être même fatigué, par une routine quotidienne et un rythme de vie  totalement différent de ce qu'il eût connu. Du moins Taiki le supposait, car cela faisait au moins sept ans qu'il n'avait plus entendu parler de Tommy à la télévision ou dans les journaux locaux. Qu'était-il advenu depuis le décès de son papa, et la disparition présumée de son oncle ? Quel était le statut de sa carrière de challenger ? Songeait-il à reprendre une fois la direction d'une arène ?

Toutes ces questions se chamboulèrent succinctement dans son esprit, si bien que Taiki remarqua à peine que Tommy lui faisait désormais face, l'ayant lui aussi reconnu.

- Tommy Leorios, neveu du Major, il me semble que vous le connaissez. Si vous venez en spectateur, je peux vous inviter à boire une bière  pour me faire pardonner, on pourrait s'installer ici.

- Je euh...

Les mots lui manquèrent. Le visage de Tommy avait bien changé, et pour certains traits, il reconnaissait bien le frère de Bob. Taiki aurait aimé exprimé mille mots plus intelligents que les deux premiers venant de sortir de sa maladroite bouche, mais il n'y parvint pas. Un simple hochement de tête servit de réponse à la proposition de boire une bière en sa compagnie. Diantre qu'il était mauvais !

Suivant le neveu de Bob, et au passage époussetant les restes de crème glacée qui tombaient mollement le long de son dos, faisant une jolie trainée bien propre qu'on pouvait apparenter à une transpiration virile, Taiki observait Tommy de dos. Et enfin il remarqua son Caninos, qui affichait une couleur semblable à celle de la glace ayant fusionné avec son t-shirt, ce qui émerveilla soudainement Taiki.

"Oh j'ignorais que tu avais un pokémon shiney !!! Je me rappelle par contre assez bien de ton Lokhlass, est-ce que tu l'as toujours ?

Qui ne se rappellerait pas du champion de Carmin-sur-Mer, cheveux au vent, surfant sur le dos de son Lokhlass ? Un souvenir qui paraissait dès lors bien lointain, alors que tous deux étaient arrivés au bar et que Taiki prit l'initiative de lever une main avec deux doigts levés, pour signifier deux bières, sans rien demander à son hôte. Après tout, le neveu de Bob, c'était évident qu'il consommerait de l'alcool...

La pinte se pose devant moi et j'hésite.

Je n'ai pas été très malin, à proposer une bière sans prendre les devants pour commander, ça m'aurait évité d'avoir à me justifier. Taiki ne peut pas deviner mon sérieux problème avec l'alcool, cela fait trop longtemps que j'ai disparu des tavernes de la région, trop longtemps que j'essaye de me contrôler. L'odeur du houblon me chatouille les narines, me perturbe et m'excite, c'est une sensation familière, elle m'appelle. Douce, apaisante, sournoise, violente.

Je souris et refuse le verre poliment, l'offrant à mon voisin qui ne semblait attendre que ça. Pas d'alcool pour combler un quelconque vide, ce n'est pas ce dont j'ai besoin, je le sais, et ce n'est pas pour fêter mon retour à la maison que je dois commencer à faire des exceptions. Mon café sera tout aussi rapide à préparer.

"Peu cavalier de ma part, mais j'évite pendant mes journées de travail. Ca m'a déjà joué des tours, j'espère que vous... tu ?..." le champion approuve le tutoiement qu'il a initié, nous ne sommes pas bien proches mais il n'a pas l'air du genre à faire preuve de beaucoup de formalités. J'apprécie. "...comprendras. On aura au moins fait un heureux !"

J'adresse un clin d'oeil au supporter qui déjà se cogne un poing sur la poîtrine en hurlant le nom de ses compétiteurs favoris. C'est drôle à quel point la performance des autres peut déchaîner les passions.
On me rend la monnnaie, de lourdes pièces qui vont certainement finir par glisser de mes poches et se coincer entre deux sièges de bus, impossibles à retrouver. Raison de plus pour les utiliser à mon escient, je vais bien finir par trouver une cabine téléphonique.

"Je pense pas que Koori soit shiney, ou chromatique comme on dit maintenant -faudrait te mettre à jour- je ne l'ai jamais fait étudié, mais d'après mes lectures c'est un albinisme tout ce qu'il y a de plus commun. On rencontre aussi ce phénomène chez l'humain, m'enfin même s'il manque de couleur, il ne manque pas d'énergie. Il surprend tout le monde ! "

Ma petite pique rappelant Taiki à son âge est plus mignonne qu'offensante, de mémoire il n'a que deux ou trois ans de plus que moi, mais je m'imagine déjà l'entendre parler d'autres vieilleries comme le minitel ou le train à vapeur. J'apprécie son naturel et sa manière très pudique de m'aborder. Pas de "Diantre, ça fait longtemps qu'on t'a pas vu!?" ou encore de "Bordel, mais qu'est-ce que tu foutais depuis tout ce temps, qu'est-ce que tu deviens ?!", une étape après l'autre. C'était diligent.

Après quelques gorgées de café, un peu de jeu de coude pour se trouver des places, on s'installe face au stade et j'enchaîne sur la question suivante.

"Oui, Lokhlass est toujours avec moi." dis-je en tapotant les Pokéballs à ma ceinture "C'est une des plus vieilles amies, et on a malheureusement plus autant d'occasions qu'avant de partir pour de longues excursions. Je pense qu'elle s'ennuie un peu, mais elle n'accepte pas de me laisser héhé, ces petites bêtes ont de sacrés tempéraments."

Est-ce qu'on peut vraiment parler de monstre de poche quand on évoque la majesté d'un Lokhlass ? Faut croire que oui, on a déjà fait rentrer plus gros dans une Pokéball.

L'hymne du dôme Pokéathlon se lance. Les choses sérieuses vont bientôt commencer.

"Je me suis pourtant installé près de Carmin sur Mer pour qu'elle puisse prendre l'air et voyager un peu en mer pendant mes journées de travail, mais bon... On en profitera plus pendant mes congés ! Cramois'île, les tourb'îles, les îles sevii... Qui sait ?
-J'ai ma petite préférence...
- Je me doute, et le Daily Pelipper va probablement me demander d'écrire un article sur toi prochainement. Ce sera l'occasion, beau boulot d'ailleurs, j'ai vu des photos récentes de l'île, c'est admirable on a l'impresssion de la voir renaître de ses cendres. Dix ans depuis la dernière éruption... Comment va votre petit volcan ? Calme ?"

L'hésitation de Tommy face au breuvage doré ne passa pas inaperçu. Taiki soudainement comprit et respecta le choix de l'ancien challenger d'offrir la pinte à un voisin qui en avait déjà bu quelques unes. Ca avait été maladroit de sa part, de partir du principe que le neveu devait également pomper autant que son oncle, après tout, beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts et il ignorait encore tout du parcours de Tommy, réellement.
Cependant ce dernier ne s'offusqua pas de son insinuation et poursuivit la conversation. Apparemment, le terme shiney était déjà désuet. Ce ne serait pas le premier ni le dernier terme que Taiki utiliserait de manière vieillotte totalement inconsciemment. Déjà que quelques challengers lui avaient fait remarqué que commenter un match d'arène par un "Tu as assuré grave" ne comptait pas comme "communiquer comme les jeunes" mais plutôt comme "utiliser des expressions de beauf". Malgré leur peu différence d'âge, Tommy faisait preuve déjà de plus de sagesse à ce niveau.
Cependant concernant les particularités chromatiques des pokémons, ça, Taiki aurait dû mieux le savoir. Son père avait d'ailleurs été un chercheur en la matière, ce qui faisait rappeler au champion que voilà trop longtemps il n'avait pas donné de ses nouvelles à ses parents.

"Oui, Lokhlass est toujours avec moi."

Le brun tapota une pokéball à sa ceinture, l'informant qu'il regrettait de ne pas avoir davantage de temps à consacrer à sa plus vieille amie. C'était là tout le dilemme lorsqu'on rejoignait une vie plus civile, le temps pour ses pokémons. Des métiers comme ranger, éleveur, voire champion, ou même acteur, permettaient de travailler en la compagnie des créatures tant aimées, mais en tant que journaliste, le temps devait effectivement se faire rare pour une balade sur l'océan, ou une simple séance d'entraînement.
Malheureusement pour Tommy, comme il le mentionnait alors que résonnait l'hymne annonçant le début des festivités, il devrait compter sur ses vacances. Taiki référa Cramois'Iles parmi des destinations de choix, ce que l'ancienne star de la région approuva, alors qu'arrivait désormais son café.

- Je me doute, et le Daily Pelipper va probablement me demander d'écrire un article sur toi prochainement. Ce sera l'occasion, beau boulot d'ailleurs, j'ai vu des photos récentes de l'île, c'est admirable on a l'impresssion de la voir renaître de ses cendres. Dix ans depuis la dernière éruption... Comment va votre petit volcan ? Calme ?"

- Je ne suis pas très press, mais si c'est toi qui viens, ce sera sans souci pour me faire interviewé. Merci...

Buvant une gorgée, pour tenter de dissimuler le rose teintant légèrement ses joues face au compliment de l'ancien champion de Carmin-sur-Mer, Taiki réfléchit à la situation du volcan. En tant que pyrologue, ce n'était pas lui le grand spécialiste pour répondre à ce genre de questions, néanmoins il travaillait étroitement avec le seul volcanologue de la région qui lui faisait un compte rendu détaillé hebdomadaire des activités du volcan. Une force de la nature que Taiki avait toujours admiré, et dont il n'avait pu témoigné de la dernière éruption, ayant été à l'étranger durant cette époque. A son grand regret, rien que par le fait il aurait pu aider à l'évacuation de la population et assister en même temps à un événement naturel particulièrement rare.

- Calme est un bien grand mot. La chambre magmatique est toujours bien présente et chaude, en profondeur. Par moment elle s'active grandement, et d'autres fois elle fait un silence radio total. Impossible de prévoir si cela annonce une potentielle éruption, ou une éventuelle mise en veille de ce volcan millénaire. Mais des spécialistes, volcanologue, sismologue et minéralogistes surveillent ça de près. On sera averti si des signaux d'éruption deviennent trop évidents, et j'ai établi un plan d'urgence en collaboration avec d'autres champions, si cela devait arriver, dans le pire des cas. Enfin, j'aurais l'occasion de t'expliquer tout ça en détail si ça t'intéresse vraiment, il n'y a rien de secret. Par contre j'essaie juste de ne pas trop ... effrayer la population. Encore...

A nouveau, une petite gorgée, mais cette fois pour noyer les souvenirs de son passage à la Tour Radio sur l'incident ayant causé la mort du PDG de la plus grande entreprise des régions avoisinantes.

- Je ne suis pas très bon pour rassurer.... mais ça, en tant que journaliste, tu connais hein... le devoir de dire la vérité, même si elle ne fait pas du bien aux foules ?

Une exclamation soudaine à la suite d'une action de Blanche, que tous deux avaient loupé, vint soudainement animer le bar. Le match avait commencé, et Taiki ne l'avait même pas remarqué. La championne commençait fort en entrée de jeu apparemment...

"Devoir, devoir... J'imagine que chacun le prend un peu comme il veut. Perso, je ne suis pas devenu journaliste avec la volonté de découvrir et de révéler au grand jour LA GRANDE vérité." m'exclamé-je amusé, forçant volontairement le trait.

J'apprécie vraiment la compagnie du champion de Cramois'île, il veut faire bien, il a les épaules et le charisme pour, mais son naturel et son visage très expressif lui donnent parfois un petit air pataud qui le rendent humainement très attachant. En bas l'équipe de Blanche attaque durement les hostilités, creusant déjà l'écart avec leurs adversaires en marquant les premiers points sous les applaudissements et les cris d'une foule déchaînée. Elle en joue, salue la foule et je crois bien que nos regards se croisent un instant. Je lui réponds par un clin d'œil amical puis reprends aussitôt pour Taïki, m'aura-t-elle vraiment reconnu ? Rien de moins sûr.

"J'abuse un peu, et c'est vrai que certains de mes collègues se passionnent pour un métier d'investigations constantes. Le prix Pelipper porte bien son nom ! Je me plains pas d'avoir trouvé un job dans un journal aussi prestigieux, surtout que ça m'a permis de revenir à Kanto." un prix que je toucherai jamais au passage, même avec un travail conséquent, c'est un truc réservé aux cadres et aux gens qui aiment faire de la lèche. Tel que c'est parti en tout cas, je peux faire une croix dessus. Il serait peut-être temps que je laisse une brosse à dents au bureau "C'est effectivement important dans la profession de douter, d'enquêter et de permettre à nos lecteurs et auditeurs d'avoir les clés pour qu'ils se fassent une opinion critique sur l'actualité. Mais d'autres le font mieux que moi. Je pourrais me cacher derrière un manque d'expérience ou une maladresse à deux clous, mais c'est bien plus con que ça, je préfère faire connaître et mettre en valeur de riches histoires."

Je sors mon carnet, remet en ordre les feuillets qui se sont détachés un peu plus tôt et commence à gribouiller des notes sur l'avancée du match. Est-ce que je suis vraiment en train de me comparer à un conteur ou à un de ses poètes antiques qui volent plus haut perché que tout le monde ?
Qu'est-ce qu'il va aller croire l'autre ?

"Prétentieux pour juste dire que je vais suivre un match de Soft Ball, non ?" conclue-je en relevant la tête, adressant un sourire amusé au rouquin. "L'avantage, c'est que je n'ai pas eu à payer !"

Qu'il approuve ma vision du journalisme ou qu'elle le laisse songeur, il fait de son mieux pour rester poli et ne pas m'interrompre. Vraiment très sérieux. Ca me laisse le temps de croquer le portrait des adversaires de Blanche : Une équipe venue d'Alola, dirigée par un petit gars baraqué et ses Pokémons des îles qui ont l'air d'avoir préparé tout un tas de stratégie pour mettre en déroute l'équipe de la championne. Et quand je parle de stratégie, je devrais peut-être plutôt comparer ça à du sabotage !

Ce qui au début ne fait qu'attirer l'œil et animer des mouvements de tête réprobateur dans la foule, finit petit à petit par agacer. Des coups trop violents hors du jeu, l'utilisation répétée d'attaque de statut pour saper les défenses ou les attaques de la championne, des maladresses de jeu qui ressemble plutôt à de l'anti-jeu... Si Blanche grince des dents face à cet adversaire peu loyal que l'arbitre met trop de temps à condamner -est-il d'ailleurs bien concentré sur le match- les supporters de l'équipe locale eux s'offusquent, insultent !

Et pour ne rien arranger, des supporters de la team polémique commencent eux aussi à s'exciter dans le stade. Bombe de peinture à la main, cachés sous leur masque de crâne, ils bousculent et vandalisent les lieux à chaque fois qu'un point est encaissé contre leur camp. Ca chique, ça s'énerve, et si dans un premier temps ma curiosité malsaine s'est laissée distraire par la vitesse à laquelle les événements ont escaladé, entendre Caninos grogner à mes pieds me fait réaliser que tout va dégénérer. Il ne manque plus que le point de rupture avant l'explosion.

"On dirait que ça s'échauffe..."

Je sens Taiki tendu, a-t-il envie d'intervenir ? C'est moins son rôle que celui du service de sécurité du stade, mais quelque chose me dit que dans le feu de l'action, sa figure d'autorité a tendance à s'imposer.

Blanche encaisse un point, elle grogne, voit aussi la situation dégénérée et je sens qu'elle essaye de garder son calme. Un chœur d'insulte sexiste vient la cueillir. Point de rupture. Elle rate son tir et la balle arrive dans le public.

Ecrase le visage d'un des spectateurs.

Boum ?

L'observant gribouiller des notes qu'il ne pourrait déchiffrer, même avec la meilleure volonté au monde, Taiki sentit une once de nostalgie l'envahir. Le jeune talentueux et farouche dresseur pokémon du nom de Tommy Leorios s'était transformé en un homme calme, observateur, très perspicace et avec une vision du monde brute, honnête et peut-être même décelait-il un chouïa de cynisme ? Quoi de plus normal, il devait arriver, par moment, dans le métier de journaliste, de creuser des secrets profondément gardés et sonder à nue le pire de la nature humaine. Taiki savait bien assez qu'aucun regard innocent ne survivait à la noirceur des Hommes et en regardant Tommy, il se demandait quel genre de noirceur ses yeux avaient dû affronter.

Ca aurait été un grand sujet de conversation avec le Major Bob..

"Je ne trouve pas prétentieux de figer les moments importants de certains pour offrir aux absents le bonheur de participer à de tels moments... Ou, quelque chose comme ça."

Mouais, la poésie n'était pas son fort, mais jamais Taiki ne dénigrerait le travail lié au journalisme. Hormis ceux qui se prétendaient tel quel, mais qui au final ne servaient qu'à gonfler des insécurités et balayer des ragots jamais confirmés pour détruire la vie des gens, et combler des rattata véreux assoiffés de voir les défauts des autres... L'adulte à ses côtés ne correspondaient en rien à ces critères, et ça il pouvait en être fier. Sans doute que Tommy avait une raison bien sacrée de préférer la discrétion de son existence à la vie sous les projecteurs, et il arrivait souvent au champion de l'arène feu de regretter son anonymat...

Buvant le reste de son breuvage, Taiki se mua dans un silence pour offrir un peu de concentration à Tommy, profitant du match, avec une certaine amertume. Lui qui avait manqué quelques belles actions comprenait désormais la tension latente qui ressortait des spectateurs. Beaucoup de coups bas, peu souvent réprimés par un arbitre dépassé, et une Blanche qui s'essuyait désormais des remarques liées à son sexe. Mais à quelle époque vivions-nous ? Irrité, Taiki resserra sa main sur sa bière, les joues légèrement empourprées d'avoir bu aussi rapidement son fond de verre. Un grognement fut émis par le Caninos de Tommy, ce qui inquiéta également ce dernier. Un échange de regard se fit entre les deux hommes, sentant que quelque chose risquait bien de transformer l'ambiance tendue en une vraie poudrière.

Et puis, une balle, lancée par Blanche, s'écrasa avec violence dans le visage de l'homme qui venait de la siffler telle une fille de Babylone au bord de la route.

Et cela suffit.

Un mouvement uni se fit, la rangée de supporters d'Alola se leva comme un seul homme, et, de ce geste ordonné naquit un vaste désordre.
Des bouteilles en verre furent lancées çà et là, soudainement les gens se levaient de leur siège et cherchaient pour certains la fuite, et d'autres la bataille. Des enfants pleuraient, des pères et mères accouraient, leur progéniture dans les bras, une main sur leur tête pour les protéger des éventuels projectiles.

Des détonations retentirent, et pour ceux qui avaient servi, cela leur fit un terrible écho de leur souvenirs du front. Mais c'était des engins pyrotechniques, violents, abrutissants, qui furent lancés à l'attention du stade, là où se trouvait encore Blanche et son équipe. L'arbitre, abasourdi, avait ordonné l'évacuation du stade, mais il ne s'était pas préoccupé d'aider l'équipe de la championne à sortir du rectangle vert... Contrairement à l'équipe d'Alola, qui regagna ses loges.

Les quelques minutes que prit cette anarchie pour prendre forme permit seulement à Taiki de se lever de son siège, de pousser Tommy pour ne pas qu'ils se ramassent tous deux un pêtard explosif dans leur fessier, et d'essayer d'analyser la situation.

"Blanche va avoir besoin d'aide, la sécurité ne va pas suffire !"

En effet, peu habitué aux hooligans, le stade de Doublonville n'avait pas fait la demande d'intervention du groupe anti-émeute de la police régionale, et seuls quelques agents de sécurité essayaient de faire au mieux, en évacuant les civils loin des hostilités.
Bref, ils étaient... dans la cata.

Prenant son élan, Taiki lança à force de bras la pokéball contenant Héphaïstos, pour que ce dernier apparaisse sur le stade, devant l'équipe de Blanche afin de faire une première barrière de protection face à la dizaine de supporters enivrés, certains même nus, qui pensaient pouvoir en venir aux mains avec les joueurs.

"Je crois que ce genre d'article va t'obliger à délaisser la plume cette fois, Tommy..."

Ca s'annonçait pas très bien...