Inktober 2021

#1 - Cristal

Le cristal scintillait…

D’une magnificence à peine réalisable pour ce pauvre aventurier, simplement venu récolter des pierres de foudre à l’origine… D’une somptuosité à en tant couper le souffle, qu’il resta longuement bouche bée, à le contempler. Sa mission initiale lui échappait totalement désormais.

Et comment ne pas rester, en effet, abasourdi ?

Des éclats d’or et de soleil luisaient à la surface de ce gros cristal en forme d’œuf, au plus profond d’une caverne perdue et oubliée depuis – combien de temps, des dizaines ? des centaines ? voire des milliers d’années ?

Il ne le savait pas, il ne le savait plus.

Comme mû par une force extérieure à lui-même, il s’approcha du cristal à la forme si particulière, et fasciné, posa la main sur la surface bleutée et veinée de sillons dorés de ce si étonnant phénomène à priori naturel.

Son contact le surprit : il s’attendait à quelque chose de froid, neutre peut-être, mais pas du tout à quelque chose d’aussi chaud.

Même brûlant.

Son cœur se mit à battre mille fois plus vite, sentant quelque chose à l’intérieur du cristal, comme si une créature intangible et invisible lui tendait ses bras dans ce berceau si inhabituel. Son instinct, tout aussi saisi que le reste de son être, ne lui hurla pas de s’enfuir alors pourtant qu’il voyait quelque chose d’or glissait le long de ses propres veines, le long de son bras, dans sa main, sur ses doigts, puis s’infiltrer à l’intérieur du cristal.

Ses forces le quittaient, mais il ne bougeait toujours pas.

Il l’aurait pu, pourtant, si son esprit avait su se détourner de ce qui dansait sous ses yeux. Mais comment l’aurait-il réussi ? Son propre sang pénétrait la surface pure du cristal, et entouré de ce halo de soleil qu’il aurait tant aimé capturer pour l’emporter en dehors de cette caverne, filait vers le cœur de l’œuf, allait tourner tout autour d’une forme qu’il devinait à peine ainsi.

Mais s’il restait plus encore, peut-être le verrait-il enfin… S’il donnait encore un peu plus de ses forces…
Peut-être enfin verrait-il cette force si mystique qui l’avait appâté ici…

Deux yeux aussi bleus que le cristal s’éteignirent, et l’inconnu tomba au pied du cristal, se fondant en un petit lac d’une eau transparente qui remonta les marches du piédestal, rejoignant le sang d’or. Plus d’os, plus de chair, juste un tas de vêtements qui se décomposeraient en poussière bientôt, formant les mêmes tas que les dizaines de mottes de terre qui gisaient dans toute la pièce, ça et là dispersé au gré d’une maigre brise.

Deux yeux bleus s’étaient fermés à jamais, mais deux yeux roses s’ouvrirent au plus profond du cristal, autour d’une forme vaguement reptilienne, enveloppée d’un milliard d’écailles d’or.

Un petit croc sortit d’une babine, un petit sourire.

C’était le dernier.

Bientôt il sortirait du cristal. Bientôt il irait réunir l’or dont il avait besoin pour grandir.

Bientôt, il fascinerait le monde entier.


On s’inclinerait devant lui, ou on mourrait et on le ferait croître encore. Tel est le destin d’un dragon de sang.

Suit

"Suit yourself, my dear ~"

Ayla entra avec une infinie précaution à l’intérieur du grand manoir de son père adoptif, perdu de vue depuis des années, sans savoir se comporter.

Paresseux, les paupières mi-close, Lars la contempla faire, assis sur le fauteuil de son salon, tel un empereur félin contemplant une petite proie s’infiltrer sur son territoire. Néanmoins, son cœur gonflé battait de chagrin face à tout ce temps perdu, visible à la façon dont la jeune fille avait grandi, et l’expression d’ébahissement mêlé de peine et de bonheur d’Ayla.

Elle n’était pas une proie, elle avait juste l’air parfois d’une pauvre petite souris. Et aujourd’hui, bien qu’elle ne s’en rendrait pas compte, elle faisait flancher totalement le vieil ours. Il avait beau se donner des airs, même lui n’était pas immunisé à la puissance émotionnelle de telles retrouvailles…

Elle fit quelques pas à l’intérieur du salon, seule, car ses deux compagnons étaient auprès de Tiamat. Elle regardait tout autour d’elle, détaillant tout, les yeux agrandis par la stupeur face à tout ce… faste auquel elle ne se serait pas attendue de la part de son mentor.

Il avait toujours eu la patte artistique…

… Mais là, il vivait au milieu de ses propres créations. Elle pointa un somptueux Draco de jade enroulé sur lui-même, dont on sentait presque le cœur de pierre battre, et ouvrit la bouche sans pouvoir rien proférer.

Est-ce que je peux toucher ?

Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Lars. Il acquiesça.

« Suit yourself, my dear. »

Ne se faisant pas prier, elle s’approcha alors de la statue dont elle toucha le nez, puis, constatant qu’elle était aussi douce qu’un véritable Draco, vit son cœur lui arriver aux yeux sous la forme de larmes cristallines d’émerveillement. Une main toujours posée dessus, elle bégaya :

« C’est… C’est magnifique, Père… »

« J’y compte bien, j’y ai passé suffisamment de temps comme ça. Tu as grandi. »

Elle sursauta et pivota vivement vers lui, le contemplant de ses grands yeux. L’homme qui avait été son père adoptif et qui s’était volatilisé il y a de cela bien des années, était de nouveau là, devant elle. En forme. Bien qu’encore plus… caverneux que jamais.

« Et vous, vous êtes encore vivant. Où étiez-vous ? » s’étrangla-t-elle, délaissant le Draco pour s’approcher du trône à grands pas. Les doigts appuyés contre son menton, le félin mystérieux la regarda approcher sans manifester ouvertement de réaction.

Les murs qu’il érigeait autour de lui étaient plus épais que jamais.

Mais pourtant, ces yeux de feu savaient les faire fondre. Il soupira, fermant les siens, et redressa la mâchoire de ses mains, remettant son échine d’applomb au dessus de son fauteuil de roi. Tout ici criait faste, mais pour celui qui entendrait le cœur, celui-ci entendrait le sien lui crier qu’il était un vrai imbécile.

Pourquoi s’acharnait-il à faire le fier ?

Il savait pourquoi. Parce que je ne peux pas t’avouer la vérité. Dans quel monde le pourrais-je ? Alors en lieu et place, il sourit davantage et inclina la tête, ses yeux toujours fermés.

« Je voyageais de par le monde pour découvrir toujours plus sur nos compagnons et l’art d’honorer les dragons. Ma route m’a mené ici, où il fallait bien quelqu’un pour perpétuer l’héritage de ta pauvre mère. »

Il rouvrit un œil taquin, solidifiant ses murs par une bonne dose de culpabilité et d’entêtement. Ayla le dévisageait furieusement, à la fois en colère, dévastée de le revoir sous de telles augures, et alors qu’elle aurait dû en être heureuse, son comportement la repoussait loin de lui.

Comme c’était le but.

« Je vois que tu as fait le même trajet que moi, » ajouta-t-il avec un sourire narquois. « Imagine ma surprise en apprenant qu’une autre personne parlant aux dragons venait d’arriver ici… Pour les adeptes de la voie du dragon d’ici, c’était une sacrée surprise. Tu m’as gâché mon effet d’excentrique solitaire, maintenant ils croient que c’est une langue communément parlée à Janusia. Que… »

« Vous tournez autour du pot, père, » rétorqua-t-elle, et elle s’était rapprochée déjà d’un mètre.

Lars frémit. Sa voix était franche, son regard aussi. Et elle n’était pas dupe.

Il ne l’aurait pas abandonnée pendant si longtemps sans une excellente raison.

Comment te dire, ma chérie, que je n’étais plus digne de toi ?

Elle ouvrit à nouveau la bouche, mais à cet instant, un rayon de lumière lunaire s’infiltra au travers du toit de vitraux, illuminant les trois immenses statues tout autour du trône.

Rayquaza. Giratina. Kyurem.

Rayquaza, pour ne pas oublier combien sa propre cécité l’avait empêché de voir, tel les peuplades d’Hoenn qui ne voient pas ce dragon volant si près du soleil, combien son propre entêtement l’avait conduit à l’horreur.

Giratina, pour ne pas oublier combien il avait négligé l’attrait des forces de l’ombre, pour ne pas oublier de toujours considérer l’invisible, même quand il était sûr de lui.

Kyurem, pour ne pas oublier que sa propre folie avait coûté la vie à ceux qu’il aimait. Et que même si ses intentions étaient pures, cela n’effaçait pas ce que l’on avait fait par le passé.

« Ils sont… incroyables, » souffla Ayla, stupéfaite.

Comme hypnotisée, elle s’approcha de Rayquaza et le contempla, le bras tremblant. Lars la regarda faire, et ronronna :

« Suit yourself, my dear. »

Elle toucha le nez de Rayquaza alors, murmurant, comme en transe : « Je te connais… Toi qui règne sur les cieux et met fin aux conflits… ». La crinière brune qu’elle avait se tourna vers la grise de Lars, comme pour demander une autorisation, qu’il lui accorda d’un signe de tête.

Elle se décala sur le côté droit du trône, pour toucher la cuirasse de Giratina, et murmurer, fascinée : « J’ai tant entendu parler de toi… Le dragon qui prend en lui le désespoir, pour le purger du monde… » et déjà, Lars sentait son estomac se tordre, en l’entendant décrire ce qu’il avait sculpté de façon si… poétique, et plus belle qu’il ne l’avait prévu.

Et puis enfin, elle revint devant le trône, la tête de Kyurem se trouvant juste à un mètre au -dessus de celle de Lars. Et, fascinée, elle approcha la main des naseaux du légendaire glacial létal.
Lars ne put réprimer une grimace et ferma puissamment les paupières, ne pouvant supporter de la voir approcher ce témoignage de sa faiblesse.

« Et toi… Qui te sent vide, toi qui était tout autrefois et que le monde a brisé… Tu ne savais pas, on n’a fait que se servir de toi. Que j’ai de la peine pour toi… »


Elle souffla un long et doux grognement, ce même son d’apaisement qu’elle servait à Mykos et Tarask, dans ses bras, quand la journée avait été longue, et éprouvante.

Un son d’apaisement qui fit grincer des dents ouvertement à Lars.

« Est-ce que je peux ? » demanda Ayla. Caresser cette statue ? Cette statue d’un meurtrier ? Tsk… Lars acquiesça lentement la tête.

« Suit yourself. »

Ce n’était pas la statue qui fut touchée. Mais lui, car soudain deux bras se passèrent autour de lui, accompagnés d’un petit sanglot de petite fille. Il se raidit, tandis que sa fille se blottissait contre lui en gémissant qu’il lui avait infiniment manqué.

Je ne suis pas digne de toi et tu le sais, mais…

Le cœur aux bords des yeux, il se détendit et laissa la jeune fille poser sa tête sur son épaule, les larmes lui coulant sur les joues et inondant sa tenue. Puis lentement il referma les bras et l’étreignit à son tour, ronronnant de bonheur, ses murs réduit à néant, juste à de la poussière qui traînait sur le parterre de son amour-propre.

Oui, elle avait obéi, et elle en avait bien fait qu’à sa tête.

Plus important encore : malgré ses erreurs, elle l’aimait toujours. Et c’était sûrement ça le plus important.

Vessel

Elle caresse la coquille endormie du dragon, sur le bout du nez, en silence.

Il pose mille questions. Sans âme, existerait-on ? Serait-on vivant ? Si on nous enlevait notre cœur, notre Idéal, que serait-on ? Si on nous enlevait notre cerveau, celui qui nous sert à voir la Vérité, que serait-on ? Si l’on pouvait remplacer ces deux éléments par des machines, par de la magie, qui nous permettraient de vivre encore sans l’un et l’autre, que serait-on ?
Longtemps, elle a souhaité pouvoir perdre alternativement l’un ou l’autre.
Quand vos sentiments se contredisent, quand votre raison sait une chose mais que le cœur en veut une autre, une impossible, mais que le cœur invariablement s’il s’abandonne à lui-même finit par ressentir honte en réalisant qu’il veut ce qui est contraire à la raison, au bien… On dérive lentement dans la folie.
Soit on écoute les deux et on est torturé… Soit on espère se débarrasser de ces conflits et continuer à exister sans souffrir.

Mais, Kyurem, répond-moi : est-ce vraiment aussi agréable que ça de vivre sans Idéal, sans Vérité ?

Quand toute capacité de faire coexister les deux s’efface, et que seule reste notre vie, sans l’un ni l’autre, et qu’en avoir ne serait-ce qu’un nous fait de toute façon sentir incomplet, est-ce que c’est une vie ?
Une larme solitaire coule le long de sa joue, glisse le long de son menton, tombe au sol.
De cette créature même, il y a des dizaines d’années, ont péri presque tous ceux qu’elle aimait. Mais ce n’était pas la faute de cette simple coquille. C’était la faute du Mal, le seul qu’on puisse écrire avec un grand M, celui qui rime avec Humain et non pas Animal.

Il lui fait néanmoins peine.

Il n’est qu’un vaisseau, un corps, dont l’âme a été déchirée de son Idéal, de sa Vérité, et la moindre chose qu’on lui dit devient pour lui ordre.
Sous sa main, il tremble légèrement, elle perçoit des battements.
Mais cela ne la réjouit pas. Oui, il est en vie. Mais il n’a plus rien, il n’a plus son identité. Il croupit ici depuis trop longtemps, maintenant. Les habitants de Janusia ont gardé sa tanière avec précaution tout ce temps, pour le protéger de ceux qui voudraient se servir de lui. Mais personne n’a jamais réussi à le Son cœur douloureux, Elle, dont le poids des âges s’est inscrit sur les traits, effleure les naseaux du dragon, sentant le froid en sortir. Elle sait ce qu’il ressent.

Ce vide…

Il s’est passé trop de temps maintenant, et nul Héros n’est venu le secourir. Doucement, elle pose la main entre ses naseaux, le laisse renifler son odeur.
Son cœur se serre.

« Maintenant, » murmure-t-elle, « On va te rendre ton âme. Et plus personne n’abusera plus jamais de toi. »

Knot

Une succession d’anneaux qui se déroulent, lentement, paisiblement, sans accrocs. L’on croirait qu’il y a des nœuds, qu’il est impossible que tout cet amas parvienne à se mouvoir et se défaire sans rester bloqué, et pourtant, ça y arrive.

La somptueuse peau écaillée bleue se détend et serpente en une longue ligne à multiples courbes, émergeant d’un tas en apparence informes de nœuds et de cercles, qui n’en sont pas. Au bout de cette ligne, une petite tête, de grands yeux, une petite corne, et de belles plumes pouvant devenir des ailes, faisant de cette créature un chasseur impitoyable. Une orbe luisant de mille feux, qui renferme en son sein un immense pouvoir d’annihilation. Tempêtes, raz-de-marée, tremblements de terres, pluies de feu, tornades foudroyantes…

Et pourtant. Dans l’ensemble, malgré leur potentiel destructeur, ce sont des créatures douces et même portées sur le secourisme, ces Dracos.

Ayla contemple l’un d’entre eux lentement s’éveiller, et parcourir quelques mètres avant d’aller se glisser dans l’eau de ce bassin de Parmanie. Le souffle court, elle admire, note tout de lui. Ca a été l’opportunité rêvée pour les étudier, ce petit séjour.


Même si en termes d’observation, elle remarque autre chose en elle. Un nœud semblable aux anneaux des Draco, qui se loge juste en dessous de sa gorge, irradie dans toute sa poitrine une chaleur étrange.


En effet, l’histoire du dracologue qui sévit ici est fantastique. Il y a très longtemps, cet homme pêchait dans la mare de l’une des nombreuses villas de Parmanie, quand tout à coup, il s’est assoupi et s’est réveillé dans un palais sous-marin, où l’attendait le plus beau des Dracos. Comme dans un conte de fées, ce roi dragon lui a posé des conditions qu’il devrait remplir à son retour sur Terre, afin de faciliter la vie de ses compagnons. Aider certains de leurs compagnons pris en otage par la Team Rocket, en aider d’autres à transporter leurs nids – tout cela était si fou qu’à son retour sur la terre ferme, personne ne le croyait.

Et pourtant, le Minidraco qui était avec lui pouvait témoigner de la véracité du récit. Ou alors, tout cela était l’œuvre d’un pokémon faiseur de rêves qui se sentait d’humeur un peu trop joueuse ce jour-là, mais le dresseur avait su se montrer à la hauteur des attentes de ce… « roi dragon », qu’il ait été onirique ou non, et cela lui faisait une merveilleuse légende à raconter. Et une merveilleuse légende à ajouter à son nom en tant que dresseur d’ailleurs.

Depuis, le Minidraco est devenu un Dracolosse indolent mais doux, qui bien que véritable machine de puissance dont les cicatrices trahissent les épreuves que les deux ont traversées ensemble, n’en reste pas moins le plus gentil des dragons. Il a aidé son compagnon à bâtir un havre de paix pour les Dracos, que ce dernier a accepté il y a une semaine de faire visiter quelques jours à cette jeune Dracologue, cette Ayla, cette fille adoptive de son ancien compagnon de route, Lars. Une faveur qu’il lui devait, de toute façon.


Mais il n’y a pas que les nœuds des Dracos qu’Ayla a découvert en cet instant-là, mais également les nœuds dans l’estomac, ceux dans la gorge.

Ceux qui se rattachent à une émotion spécifique que ses deux compagnons ont, eux, très bien su déchiffrer et qui n’ont de cesse de la charrier là-dessus. Elle juge cependant ses émotions tellement pathétiques qu’elle refuse même de les reconnaître. Faut dire que tomber amoureuse d’un ancien compagnon de son père, même adoptif, même s’il n’y a « qu’une » génération d’écart entre les deux, ça craint du boudin.

Elle ignore s’il s’en est rendu compte, mais si tel est le cas, ce Dracologue, même si elle ne l’intéresse pas un brin et que comme de juste, elle l’a déjà vu avec des femmes de son âge à lui, il trouve la situation néanmoins peut-être un brin amusante. Plaire, même si c'est pour ne jamais agir, c'est toujours agréable, et puis elle est marrante à réagir comme une adolescente. Et, tandis qu’elle termine de gribouiller des notes sur la démarche du Draco qu’elle vient de voir passer, puis plonger, et enfin continue d’examiner la mue entre ses doigts, elle jette un coup d’œil à la dérobée à cet homme aux allures de samurai, entre le chignon, la tenue, les traits et le regard fier, qui croise son regard, fait un sourire amusé, la voit piquer un fard puis s’en retourner à ses études. Elle jure qu'il en rirait presque, de la sottise de la situation.

Bientôt, elle sait, elle va devoir lui dire au revoir, à ce Tari Môri. Ne rien faire. Et avec espoir, ne plus jamais le revoir. Mais en attendant, elle profite un maximum de ressentir cette euphorie temporaire et complètement débile. La vérité, qu'elle n'a aucune chance, qu'elle n'a même pas à en vouloir, et que pourtant les hormones ou son coeur s'agitent tout seul sans raison,  la rattrapera suffisamment bien assez tôt, de toute façon.

Elle n'en sera pas moins tombée amoureuse pour la première fois. Et ce sera pour toujours un souvenir agréable.

Raven


(Ambiance sonore, et... Raven too!)


Je ferme les yeux.


L’air me fouette le visage. La fraîcheur de l’air se cristallise en de toutes petites gouttelettes qui me martèlent la peau. Ma peau fait des choses insensées, soulevée par la puissance de l’air et les forces gravitationnelles qui s’affolent, ce que je fais, un humain n’est pas sensé le faire. Le vent s’engouffre dans mes vêtements, les gonfle, tente désespérément de ralentir ma chute.

Mais rien ne le pourrait. Car librement, sans rien pour me retenir, je chute. Sans fin. Sous les hurlements du vent et de la foule.

Je n’ai pas peur. J’attends cet instant depuis longtemps. Je souris, même, malgré la morsure de l’air sur mes lèvres. Bientôt je ne sentirai plus rien.


Une fin, un nouveau commencement.


Il n’en fallait pas plus à mes instincts pour enfin se réveiller. L’on parle de « se jeter dans le vide », c’est ce que j’ai fait. Et enfin, je sens mon corps changer.

Tandis que le sol se rapproche à une allure vertigineuse, que les arbres se précisent, que les demeures au lointain se détaillent de plus en plus, cessant d’être de pauvres petits points, petites taches de couleur, pour devenir des polynômes plus détaillés, puis des constructions, ma peau s’hérisse.

Les petits picotements qui y naissent se changent en plumes. De plus en plus longues, de plus en plus noires. Mon sourire s’étend, et mes lèvres grandissent, grandissent. Puis un bec. Je sens mon nez s’allonger et se fondre avec le reste de mon visage, et je sens distinctement que je n’ai déjà plus tête humaine.

Ca fait pas trop mal au final, je songe, en ouvrant mes nouveaux yeux et en me réjouissant de voir que ma vue aussi a changé. Maintenant, je distingue tout, peu importe ma vitesse de chute. Du plus maigre mulot se baladant sous moi, aux nids loin, très loin tout là-bas dans les arbres de la forêt où les humains jamais ne s’aventurent.

Satisfait, je m’apprête à battre des bras pour ralentir ma chute, trouvant d’instinct comment faire, quand je réalise qu’ils ne sont toujours pas devenus des ailes à part entière. J’entend ma mère crier. Mon clan, hurler.

Le chaman, chanter plus fort.


Et soudain, ça y est – cela ne faisait pas mal, jusqu’ici, mais tout change. Une violente douleur entre en éruption à la naissance de mes omoplates, me tord le dos, et se répand comme une traînée de poudre sur mes bras. Je crie, mais je sens que sous mes bras, sur mes bras, naît une membrane et de plus en plus de plumes.

L’aile devient complète, et enfin, malgré la douleur, je bat, glisse en avant pour ralentir ma chute en planant, puis je me pose au sol, en nage.

Le clan m’attend en bas, ils applaudissent, même si leurs joues sont striées de larmes et que j’entends d’ici les cœurs qui battent encore la chamade.

Ca y est, je suis devenu officiellement un métamorphe du clan du corbeau… Et le chaman l’inscrit à jamais en dessinant sur mes joues le symbole de notre tribu.

J’ai volé.

Regardez-moi ça. On dirait bien qu’un p’tit nouveau s’radine sur notre territoire !
Hey là, l’ami ! Oui toi là. C’est bien à toi que j’cause. Pas besoin de me r’garder avec ces grands yeux d’froussardine, tu dois bien l’sentir que t’as rien à faire là, non ? Tu savais pas ? Dommage ça. Laisse nous donc éclairer ta face de lanturne.
Musique les gars.

Clac. Clac. Clac.

Nos becs claquent, comme un métronome.
On décompte le temps qu'on te donne,
Avant que ta vieille rombière t'appelle
En beuglant « Viens ici ma belle ! »

Les voltoutous à sa mémère,
nous on les cornèbres on les exècre.
Pas de pot pour toi mon gros,
c'chez les Raven que t'a mis l'museau.

Ici c'est pas chez toi !
Ici c'est nous les rois !
On rapplique pas quand on nous sonne,
Sauf si c'est l'boss en personne.

Il est mignon ton petit collier,
Rose à paillette, ça fait rêver.
Mais la couleur t'va pas au teint,
T’en dis quoi, sur moi ça fait bien ?

C'est pas commode d'montrer les crocs,
Tu fais pas l'poids, couché l'cabot.
Baisse la truffe, range ces éclairs.
Nous oblige pas à t'botter l'derrière.

Ici t'es qu'un corniaud,
Personne sauvera ta peau.
C'est terminé, abandonne,
Ou tu verras l'boss en personne.

Bon sang, mais c'est pas vrai,
Ce sale roublard m'a grillé.
J'ai l'plumage qui sent l'roussi.
Toi l’ami, tu t'attires des ennuis.

T'es plus tenace que je l'pensais,
T'as réussi à m'énerver.
On voulait juste s'amuser,
Mais cette leçon tu l'auras méritée.

Ici t'es sur nos terres,
Y a pas la place pour les prières,
T'as eu ta chance, pour qu'on pardonne,
Maint'nant, voilà l'boss en personne.

Clac. Clac. Clac.

T'as eu ta chance, pour qu'on pardonne,
Maint'nant, voilà l'boss en personne.